Contentieux entre Sauveboeuf et Latour

 

SAUVEBOEUF C. LATOUR.

 

Par acte passé devant notaire, le 31 oct. 1788,

François Ferrières de Sauveboeuf vendit, avec

promesse de garantir de tous troubles, évictions

et hypothèques, à Jean-BaptisteRosierDufayet

de La Tour, les fiefs nobles, cens, rentes, droits

utiles, casuels et honorifiques, directs

 

justice

haute, moyenne et basse, et droits en dépendant

qui lui étaient dus sur les lieux de Saint-Vincent,

Colture, Chaulavelle, et autres lieux désignés.

Lesdits cens vendus, consistant en cent

soixante-neuf setiers de grains et en 178 liv.

en argent; lesdits grains, est-il dit dans l'acte,

réduits à la mesure de Salers, sauf le plus où le

moins en événement du relevé des titres, terriers,

reconnaissances et lièves.

Celte vente fut faite moyennant la somme de

66,759 liv. que l'acquéreur s'obligea de payer à

raison de 10,000 liv. par terme, dont le premier

devait échoir le 1er janv. 1791.

I,e contrat porte que l'acquéreur entrera

en jouissance audit jour 1er janv. 1791

et

qu'il touchera les arrérages des rentes et redevances

qui échoiront à la Saint-Julien suivant,

auquel jour le vendeur promet de délivrer

audit acquéreur les titres, terriers, reconnaissances

et lièves, ou extraits collationnés

d'iceux établissant lesdits objets vendus, pour

être alors fait un relevé plus exact d'iceux; et,

au cas qu'il en résultât une plus grande ou

moindre quantité de cens que celle ci-dessus

énoncée, le prix susdit en sera augmenté ou diminué

à raison de 300 liv. le setier de grains, et

des menus cens et suite d'iceux, au denier quarante.

L'acquéreur ne paya pas, au ter janv. 1791,

les 10,000 liv. du premier terme. Il s'engagea

une contestation sur l'exécution de cet acte entre

le vendeur et l'acquéreur, et, après la mort

de ce dernier, avec ses héritiers.

Ceux-ci soutinrent, entre autres moyens de

(1) Il La vente est parfaite entre les parties, dit

» l'art. 1583, C. civ., et la propriété est acquise à

Il l'acquéreur à l'égard du vendeur des qu'on est con-

» venu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait

» pas encore été livrée ni le prix payé. »

(2) V. Code civ., art. 1586.—Si la vente est faite

en bloc, elle est parfaite, bien qu'il n'y ait eu ni pesage

ni mesurage. V., sur les ventes en bloc, Pothier,

Tente ; Duvergicr, Vente, t. 1er, et contin. de Toullier.

t. 16. n° 81.

(3) Il en serait de même sous le Code civ., art.

1184. — La condition résolutoire est sous-entendue

dans les contrats synallagmatiques pour le cas où

une des parties ne satisfait pas à son engagement ;

mais le contrat n'est plus résolu de plein droit : seulement

la partie envers laquelle l'engagement n'a pas

été exécutéa le droit de forcer l'autre à l'exécution de

la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander

la résolution en justice avec dommages-intérêts.

défense, devant le tribunal du district de Salers

cette affaire fut portée

, que, le vendeur

n'ayant pas remis les titres comme il s'y était

obligé, il n'y avait pas eu de tradition de la

chose vendue, et que c'était à lui à en suppor- ter la perte; que la vente n'était pas parfaite,

puisqu'on n'avaitpas vérifié, à la vue des titres,

la quotité de la chose vendue.

Le tribunal du district de Salers, sans s'arrêter

aux exceptionsdes héritiers de La Tour, déclara

exécutoire contre eux le contrat du 31

oct. 1788 et les condamna à en naver le nrix.

Sur l'appel, le tribunal civil du Puy-de-

DQme, « considérant que le contrat de vente du

31 oct. 1788 avait pour objet des droits incorpcrels,

et ne contenait pas de tradition de ces mêmes droits; que la tradition réelle avait

été suspendue et ne devait s'effectuer que le

ltr janv. 1791, par la remise des titres constitutifs

de ces droits; qu'à ladite époque, ni depuis,

Sauveboeuf n'avait délivré ni même re- présenté aucun titre relatif à ces droits incorporels;

qu'avant aucune remise de titres, ces droits avaient été abolis sans indemnité ; que la

vente et son prix ne pouvant être déterminés

que par la représentation des titres,sur le vu desquels

devait être fait le calcul des redevances

vendues, elle devait être comme n'ayant pas

été consommée,—Infirmale jugementdont était

appel et débouta Sauveboeuf de sa demande. » Pourvoi en cassation pour violation des lois

romaines, qui déterminent les caractères du

contratde vente et de l'art. 36, L. 15 mars 1790.

Du 20 FRUCTID. AN X, jugem. trlb. cass.,

sect. civ.; les cit. Oudot, rapp.; Jourde, subs!.;

Thacussios et Leroy de Neufvillette, pl.

« LE TRIBUNAL,— Vu la loi 8, ff., de Periculo

et Commodo rei vendiloe, ainsi conçue :

« Necessariò sciendum est quando perfecla sil

» emptio ; tune enim sciemus cujus periculum sit :

» nam, perfectâ emptione, periculum ad emptorem

Il respiciet ; et si id quod venierit,appareat, quid,

» quale, quantum sit pretium, et purè veniit, per-

» recta est emptio; » le § 3, Inst., de Emptione

et Venditione, qui porle : « Cùm autem emptio

» et vendilio contracta sit (quod effici diximus si-

» mut atque de pretio convenerit, cùm sine scrip-

» turâ res agitur) periculum rei t'enditoe statim ad

» emptorem pertinet, tametsi adhllc ea res emptori

» tradiea non sie...; » —Vu enfin l'art. 36, décr.

15 mars 1790, ainsi conçu : « 11 ne pourra être

» prétendu par les personnes qui ont ci-devant

» acquis des particuliers, par vente ou autre

» acte équipollentà vente, des droits abolis par

B le présent décret,aucune indemnité ni restitu-

» tion de prix ; » — Attendu que, par l'acte du

31 oct. 1788, François Ferrières de Sauveboeuf

n'a pas vendu simplement quelques droits de

cens et rentes en grains et en argent à 300 liv. le

setier, et sur le pied du denier quarante, mais

qu'il a vendu les ci-devant fiefs et seigneuries

d'Orfuguet, Colture, Chantarelle et autres lieux

désignés, avec la haute, moyenne et basse justice,

et tous les droits honorifiques, utiles et casuels

en dépendant, ce qui emporte l'idée de

l'aliénationde la totalité d'une grande propriété,

et ce qui exclut celle d'une vente conditionnelle

et dépendante de la vérification de la quantité

des rentes existantes;— Attendu que le motif

qui a servi de prétexte aux juges du tribunal

civil du département du Puy-de-Dôme, pour

déclarer qu'il n'y avait pas eu de vente, tiré de

la stipulation qu'il serait fait un relevé plus

exact des droits de cens et de rentes en grains

et en argent, à la vue des titres, afin d'augmenter

ou diminuer le prix en proportion, à raison

de 300 liv. pour le setier de grain et du denier

quarante pour les redevances en argent, ne peut

ètre fondé, parce que la vente des fiefs et seigneuries

dont il s'agit, ayant été faite en bloc et

pour un prix certain, indépendamment de la

quotité des rentes en grain et en argent, pour

lesquelles on avait aussi déterminé un prix,

cette stipulation n'empêchait nullement la convention

de conserver les trois caractères qui

rendent une vente parfaite, la chose, le prix et

le consentement des parties, et autorisait seulement

l'action quantò minoris, en cas qu'il se

trouvât un déficit sur les rentes vendues; Attendu — que la tradition des titres n'était pas

nécessaire pour rendre parfaite la vente d'un

fief ; — Attendu que la circonstance du défaùt

de remise des titres, sur laquelle les juges ont

encore basé leur décision, ne pouvait influer

sur l'existence de la vente, puisque cette circonstance,

survenue postérieurement, ne pouvait

donner lieu à autre chose qu'à une action

en faveur de l'acquéreur pour faire exécuter le

contrat, ou pour le faire résilier, mais qu'elle

ne pouvait autoriser les juges à déclarer qu'il

n'avait jamais existé ; —Attendu que le tribunal

civil du département du Puy-de-Dôme

après

avoir méconnu les principes de la matière, a,

en chargeant, par le résultat de sa décision, le

vendeur, des risques de la chose vendue, contrevenu

aux lois romaines ci-dessus citées, et,

par voie de conséquence, à l'art. 36, L. 15

mars 1790, —CASSE. »

TRIBUNAL DE CASSATION.