Chronique de la Pomme de Terre

            Originaire d’Amérique du sud, elle arrive en Europe au 16ème siècle. Sa qualité nutritive fait de la pomme de terre, l’un des aliments de base de l’humanité. Son histoire commence avec celle des Amérindiens qui vivaient il y a plus de 10 000 ans dans la zone côtière de l’actuel Pérou.

            Au Néolithique, dans la région du lac Titicaca, les chasseurs apprennent  à la cultiver. Cette domestication va mettre en place une méthode de culture et de conservation. Lors de la colonisation espagnole, les Conquistadors ramèneront les tubercules. A partir de ce moment, l’évolution de la pomme de terre se répand sur le monde entier. Elle sera au début une curiosité des botanistes,  un remède pour certains, la représentation du diable pour d’autres, pour être enfin reconnue comme la solution contre la famine. La culture de la pomme de terre libère le peuple des disettes, renforce les Etats, nourrit les soldats. Jusqu’au milieu du 16ème siècle, la pomme de terre  est considérée plus comme une médecine que comme un aliment, elle va rester autour des couvents, des cours royales, des jardins de botanistes et il faudra que l’Europe subisse de nombreuses disettes et de guerres qui vont l’accabler pendant les 17ème et 18ème siècle pour que sa culture et sa consommation se développent malgré les préjugés et les superstitions qui lui sont attachés.  Au 19ème siècle, la force et la stabilité alimentaire, offrent aux empires coloniaux la possibilité de s’étendre et de dominer une grande partie du monde. Son usage devint général en Allemagne après la famine de 1770. La Suède l’avait aussi adoptée. Le capitaine John Hawkins1 avait déjà introduit la pomme de terre en Irlande vers 1565. Elle est cultivée en Lorraine en 1695 ; elle s’étendit peu à peu sur tout le territoire français. La popularité de la patate devint si importante que les quantités cultivées devinrent insuffisantes.

Evolution de la culture de la pomme de terre

            Les exigences alimentaires augmentèrent au fil du temps et il fallut afin d’accélérer et d’augmenter rapidement les procédés de culture, inventer des mécanismes pour semer et récolter plus efficaces. Auparavant le monde rural avait besoin d’évoluer avec une religion assidument pratiquée et totalement opposée à la modernité ainsi que le manque de locomotion avec peu d’accès praticables qui venaient compléter cette autarcie. L’outil agraire de conception artisanale demeurait sommaire : la pioche, la faucille, le fléau, la bêche, et l’araire, outils manuels peu rentables avaient un rendement limité aux stricts besoins alimentaires. Au 19ème siècle, la mécanisation va prendre le relais de la main d’œuvre familiale qui lentement va se tourner vers la rentabilité. En ville, les  milliers d’ouvriers qui enduraient les restrictions attendaient de la modernisation un meilleur niveau de vie.

 

 

Diffusion de la pomme de terre en Europe 

Espagne

Elle prend le nom de patata, ce qui la différencie de la patate douce nommée batata. En  1565 Philippe II envoie des plants au pape Pie IV pour le soulager de la fièvre des marais (une forme de malaria) dont le pape est atteint ; ce fut sans effet car il décèdera à la fin de la même année. C’est à cette occasion, afin de ne pas froisser le souverain pontife que le nom de papa prendra en Espagne le nom de patata. La première attestation de sa culture en Espagne continentale date de 1573 ; en décembre les registres de l’hôpital de la Sangre de Séville mentionnent l’achat du tubercule pour soigner les malades dont il avait la charge. Cet établissement était en Europe, l’un des plus modernes. En 1576, les sœurs de l’Ordre des Carmes y ont exercé le service religieux. Dans une lettre du  19 décembre 1577 par Sainte Thérèse depuis Tolède à la supérieure du carmel de Séville, on peut lire : « Que Jésus soit toujours avec votre Révérence. J’ai reçu votre lettre et également les pommes de terre…. » Un peu plus tôt,  le 29 janvier 1577, elle évoque aussi la pomme de terre comme ayant un effet thérapeutique. A la même époque, le médecin Bartolomé Hidalgo l’utilise pour traiter ses patients. On lui attribue des propriétés thérapeutiques notamment sur certaines inflammations, l’exéma, les brulures et les calculs rénaux. Un autre botaniste et médecin, Nicolas Monardes (1493-1588) est connu pour avoir étudié les facultés thérapeutiques de pomme de terre à l’université de Séville. C’est dans le courant du 17ème siècle que la culture de la pomme de terre va vraiment se développer en Espagne. Arrivé des Andes par les Canaries, l’Espagne sera un des premiers territoires à développer la culture du tubercule. Depuis les ports qui accueillent les navires en provenance du Nouveau Monde, la pomme de terre va vaincre la famine qui sévit en Galice puis au Pays Basque, c’est par ce pays qu’elle se diffusera dans les régions françaises frontalières. Au 19ème siècle, avec la diffusion de la Tortilla qui devient la base de l’alimentation de ce pays qui a perdu la prospérité que lui donnait ses possessions coloniales, la culture de la pomme de terre va connaître une véritable révolution.

Italie

Malgré l’envoi de plants de pommes de terre par le roi d’Espagne pour guérir le pape. Les pommes de terre vont fleurir dans les jardins du Vatican. D’abord, décoratives, elles se répandent dans le pays pour participer à l’alimentation humaine et animale. Les patatas espagnoles prendront le nom de Taratufolli (du latin : truffe de terre). Dans le Val d’Aoste, elle prendra le nom de Tartifle. La présence de la culture de patata en Italie est aussi historiquement connue à Gêne, vers 1584. Elle aurait été apportée depuis l’Espagne par frère Nicolas Doria, fondateur du couvent des Carmes de Gêne, ce couvent va cultiver la pomme de terre. Elle va se répandre dans les provinces voisines. En 1587, le père Vitale Magazzini publie à titre posthume les écrits de l’abbé Libério Baralli ou il rapporte que les pommes de terre sont arrivées à l’abbaye d’Espagne. Le père Liberio écrit : « On mange les pommes de terre coupées en lamelles, à la manière des truffes ou des champignons, frites et enfarinées ou à la poêle avec de l’agresto ; c’est un véritable délice, elles ont une saveur de la châtaigne. Elles se multiplient de façon innombrable, se cuisinent facilement et se conservent bien. » Au début du 17ème siècle, les Taufolli des papes devenues les patates du peuple sont cultivées en Toscane, en Vénétie, en Emilie-Romagne, en Italie méridionale et au cours de ce siècle vont conquérir toutes les régions voisines. Au 18ème siècle, la culture de la pomme de terre se sera largement répandue à travers tout le territoire italien.

 

 Suisse

Les premières cultures du tubercule ont été effectuées par Gaspard Bauhin dans le jardin botanique de Bâle en 1589. Il est tout à fait possible qu’il est reçu des plants de son confrère Clusius, lorsqu’il  en expédia à travers l’Europe à ses amis savants. La plupart des naturalistes de l’époque avaient fréquenté les mêmes universités et formaient alors un véritable réseau scientifique humaniste. La pomme de terre s’est répandue peu à peu à travers toute la Suisse  et à l’ouest vers la Franche-Comté, la Bourgogne et le Dauphiné. En un siècle, sa rapide adaptation va remplacer le blé en certains endroits. Ce succès n’entrainera pas les pays voisins à l’imiter.

Iles Canaries

C’est dans les manifestes de transport maritime de 1567 que l’on retrouve la trace des premières exportations depuis la Grande Canarie vers Anvers ; soit six ans avant leur première mention dans les registres de l’hôpital de Séville, en Andalousie. Il est probable que l’importation vers les Iles Canaries remonte à 1562 depuis l’Amérique du Sud.

Continent Africain

            Avec l’expansion de l’empire colonial européen, la pomme de terre est diffusée en Afrique depuis la fin du 19ème siècle. Elle était considérée par les colons comme un aliment de haute valeur.

Etats-Unis

            En 1621, le Capitaine corsaire Nathaniel Butler, alors gouverneur des Bermudes, fait parvenir une cargaison de 20 000 livres de pommes de terre à destination du gouverneur de Virginie, Sir Francis Wyatt. C’est la première apparition du tubercule en Amérique du Nord. En 1719, des immigrants écossais et Irlandais implantent autour de Londonderry (New Hampshire) les premières exploitations permanentes dédiées à la culture de la pomme de terre. De là, elle va se répendre à travers tous les Etats-Unis. L’industrie connait un véritable essor avec la variété Russet Burbank (1872). En 1995, la NASA expérimente pour la première fois la culture de pommes de terre dans l’espace. L’Organisation des Nations Unies a déclaré l’année 2008, comme l’année de la pomme de terre afin de renforcer la prise de conscience du rôle primordial de la pomme de terre.

Canada

            En Nouvelle-France, la culture de la pomme de terre est introduite en 1762 par Henri louis Duhamel. Mais pendant la période de la guerre de Sept ans, l’intendant François Bigot tentera d’en développer la culture, les colons ne la trouve bonne que pour nourrir les cochons. Elle ne se répand qu’avec l’arrivée massive des émigrants irlandais, chassés de leur pays par la Grande famine qui y sévit de 1845 à 1851.   

 

 

 

 

France

            Aujourd’hui, il est difficile de vérifier l’arrivée de la pomme de terre en France. Une information persiste pour donner à Jean Bauhin la primeur pour la première culture dans les Grands-Jardins de Montbéliard vers 1590. Elle est décrite en 1600 par l’agronome ardéchois, Olivier de Serres qui la nomme cartoufle. Il indique qu’elle aurait été introduite de Suisse vers le Dauphiné. Elle entra au Jardin royal de Paris vers 1660 ; la variété rouge était seulement connue sous le nom de patate ou truffe rouge. Dans l’est son évolution fut momentanément freinée par un arrêt du parlement de Besançon2 en 1630. Elle récompensera pourtant Antoine-Augustin  Parmentier pour son analyse sur l’amidon de la pomme de terre. Ce n’est pas lui qui introduisit le tubercule en France mais c’est grâce à sa position auprès de Louis XVI qu’il bénéficia de son aide. Parmentier obtient l’autorisation de cultiver aux portes de Paris. En France, la patate est réservée aux cochons et aux soldats. Mais ce pharmacien des armées va ruser : il fait garder son champ de culture par l’armée le jour, puis demande à celle-ci de partir la nuit, ce qui ne manqua pas d’attirer les curieux. Les paysans des environs se précipitent pour en voler quelques plants. Ainsi, la diffusion s’établie nuit après nuit avec la certitude que les « voleurs » en prendront soins.

 Dans notre région, les paysans considéraient la pomme de terre comme vénéneuse. Côté religion qui instaurait dans les campagnes une véritable réputation diffamatoire, dénonçait le tubercule comme porteur de la lèpre. Les mentalités étaient imprégnées de cette croyance alors que l’Etat voyait la patate comme le sauveur des famines. Pendant la guerre de 1870, elle est d’un grand secours pour les assiégés de Paris. Elle sera l’ordinaire des gardes nationaux qui la mangeront avec plaisir, bouillie, frite ou dans le rata. Puis entre 1882 et 1885, le botaniste français Alexis Milliardet met un traitement contre le mildiou connu sous le non de Bouillie bordelaise.

Plus proche de nous ; Tyssandier d’Escous, ancienne famille de Haute-Auvergne dont le nom veut dire tisserand et originaire du baillage d’Apchon, s’installera à Salers à la fin du XVIe siècle. La famille possédait un petit château situé à Roche-Soutro. Elle éleva dans cette propriété des chevaux de guerre et de trait. En 1845, Ernest commença les prairies artificielles et ensemença 9 hectares en pommes de terre pour faire face à la disette de 1847.

1- Ce fait est contesté.

 2 – Tripard a prouvé que cet arrêté n’avait jamais existé.

Bibliographie : Wikipedia – La Voix des Campagnes – La France paysanne.

Gérard Pinski