Opération « CADILLAC »

En 1939, le Cantal est un département rural dont la population décroît et dans l’ensemble le niveau de vie reste modeste. Dans le domaine agricole, les coopératives laitières passent de 2 en 1919 à 62 en 1939. La naissance du syndicalisme dans le domaine agricole exalte le travail « sain et moral », rejetant l’aide de l’Etat et son interventionnisme. La première guerre mondiale dénombre 8000 cantaliens tués. Dès janvier 1939, les Auvergnats s’inquiétèrent des agissements de Franco avec ses 2000 réfugiés espagnols fuyant sa politique. La pensée qu’il faudrait laisser le domaine en souffrance et peut-être ne plus revoir les siens les horrifiaient. La mobilisation générale commença le 1er septembre 1939, le monde agricole compris que la guerre commençait. La suite est connue, chacun vivra différentes situations, certains avec l’espoir et d’autres dans le chagrin des disparus. Ce qui est moins connu, est le travail effectué par les hommes et femmes de courage et de bonne volonté afin de préparer la libération du Pays.

Une petite partie de cette histoire se déroule près de chez nous. Elle n’apparait pas dans les grands livres et nos historiens l’ont vite oubliée pour se concentrer sur le débarquement. Pourtant, l’opération « Cadillac » reste le plus grand parachutage effectué en Europe. En voici, le résumé, il est incomplet mais les générations futures ne pourront pas dire « je ne savais pas ».

Après la chute du deuxième réduit d’Auvergne, le premier ministre britannique Winston Churchill demande au général Eisenhower, commandant suprême des forces expéditionnaires alliées en Europe de tout faire pour empêcher le maquis du sud-est de la France d’être anéantis par les Forces armées allemandes. Les armées alliées occupées par le débarquement ne peuvent aider la population de l’intérieur. Londres décide un parachutage de grande envergure sur le sol Français.

Les premiers parachutages commencent le 25 juin avec l’opération baptisée « Zebra ». Elle met en œuvre 180 forteresses volantes dont 35 se dirigent vers l’Ain (terrain Marksman), 36 vers le Jura (terrain Director), 73 sur différents maquis de la Haute-Vienne (terrain Salesman), 36 vers le Vercors (terrain Trainer). Ce jour là, 2160 containers sont largués sur l’ensemble des terrains.

            Pour la région R6 (Auvergne), la situation reste dans l’attente d’un message de Londres. Début 1944, le groupe des résistants auvergnats comprend les réfractaires au STO (Service du Travail Obligatoire). Ils sont traqués par les allemands et la milice française. Le 11 février, Jean Chappat, commandant régional de l’AS (Armée Secrète) est arrêté à Aurillac. Le 27 mars 1944, Albert Bannes, chef du secteur Mont Dore est arrêté par la Gestapo à Clermont-Ferrand devant la polyclinique avec une liste de terrains et leurs coordonnées. Cela va stopper, les projets d’armement sur le Cantal. Pour être homologués, les terrains doivent posséder, une protection maquis, une absence de DCA1 dans un rayon de 20 km, la dimension minimale est de 2 km de côté, une capacité de ramassage massif, présence obligatoire d’un opérateur radio. Les allemands qui quadrillent le Cantal, apparaissent comme les maitres du terrain. Il est temps de montrer à la population que la maitrise du ciel est à l’aviation alliée. Après bien des difficultés, le terrain de Pleaux (Serrurier) est confirmé le 7 juillet 1944 et reçoit un premier parachutage.

            Le 11 juillet, l’U.S. Air Force prévoit une opération massive de largage de matériel pour le 14 juillet 1944, baptisée « Cadillac ». 349 appareils de la 3eme Division de bombardiers effectueront cette mission. Les régions en priorité seront :

1) Le plateau du Vercors (pour la 2eme fois).

2)      Le Cantal. (Terrain Serrurier)

3)      La Saône et Loire.

4)      La Corrèze. (Terrains Trammond et Digger)

5)      Le Lot.

6)      La Haute-Vienne (pour la 2eme fois).

C’est seulement à partir du 13 juillet que Frédérik Cardozo2 reçoit le message suivant : « Soyez prêts demain Vendredi pour une opération parachutage. Attendez 689 containers. Allumez fumées puissantes ». Pour confirmer, la BBC, transmettra le message suivant : « Les cannibales bouffent les esquimaux ».

- 1 : Défense Contre les Avions.

- 2 : Chef de mission Interalliée en Auvergne.

Le matin du 14 juillet en Angleterre.

A 7 heures du matin3, décollage des 349 bombardiers (B17) et des 524 chasseurs (Mustang) d’escorte des 9 aérodromes londoniens. Ils atteignent la côte française à une altitude de 5000 mètres, direction Caen. Certains appareils (29) venus en secours en cas de panne font demi-tour. Le plan de vol, prévoit de descendre à 1000 mètres, une heure avant d’atteindre la zone de largage.

Ce jour là, 320 bombardiers atteignirent leurs objectifs, 3791 containers, soit 417 tonnes de matériels furent ainsi largués sur les 6 objectifs désignés par le Haut commandement des forces expéditionnaires alliées en Europe. Seuls 2 appareils ont atterri dans les zones du débarquement à cause de problèmes mécaniques.

Dès la première heure de vol, un message va inquiéter les hommes au sol : un peloton de la 10eme compagnie de sécurité de la Wehrmacht entre à Aurillac et une importante colonne6 de camions du général Kurt Jesser venant de Murat vient de s’arrêter à Riom-es-Montagne.

 

                        L’intérieur des containers.

Les préparatifs sur le terrain de Pleaux (Serrurier).

L’organisation pour le ramassage et le stockage sera confiée au chef de bataillon Playe et à Claude Bouchot. Grace au major Cardozo, les FFI4 d’Auvergne participeront à l’opération. Sur place, un peu avant 5 heures du matin, tout est en ordre. Robert Koenig s’est installé à la ferme Delpeuch, proche du terrain. A 6 heures, l’Africain5 prend contact avec Londres. A 7 heures, l’opération est confirmée. Pendant ce temps, des files de camions arrivent des fermes voisines, des chars à bœufs, des charrettes se mettent en place. Plusieurs centaines de volontaires sont répartis sur le terrain.

Le commandant André Decelle décrit la scène :

« Vers 9 heures du matin, un bourdonnement se fait entendre, le bruit s’amplifie et devient assourdissant. Ce sont eux, on les aperçoit maintenant en formations serrées. Ils sont plus de cent, des lumières vertes, blanches clignotent en queue de l’avion de tête, celui du leader7.

-3  Heures françaises, il était 5 heures à Londres.

-4  Force Française de l’Intérieure.

- 5 Opérateur radio parachuté le 24 février 1944 près de Montluçon.

- 6  Cette colonne comprenait une centaine de véhicules. Elle se rendait par Ussel à Meymac (Corrèze). Ayant aperçu les escadrilles de B17, elle s’était dispersée pour prendre son dispositif d’alerte aérienne.

- 7 Il va se tromper et confondre les objectifs Cantal – Corrèze. Les 689 containers prévus pour « Serrurier » seront parachutés sur le terrain corrézien. Les 432 containers prévus pour la Corrèze seront parachutés sur le Cantal.

Ils parachutent par vague, plongent et se délestent d’une centaine de parachutes multicolores, rouges, verts, oranges, blancs, c’est féerique. Dans ce vacarme assourdissant, on entend les chocs sourds des containers sur le pré, puis les parachutes s’affalent dessus mollement. Et voici, une nouvelle vague, et encore une, six fois de suite. A la dernière vague, en ce 14 juillet, les parachutes sont bleus, blancs et rouges. Il y en a 431 jonchant le terrain ».

Autre témoignage de Robert Zamet :

« Une forteresse volante B17 se détache de la dernière vague pour larguer un drapeau tricolore, malheureusement celui-ci se prit dans son empennage. Le pilote les alors salué de ses ailes ainsi drapées dans l’emblème tricolore ».

Celui de Henry Ingrand, commissaire de la République pour la région Auvergne et chef des MUR8 de la R6 :

« Voici les bombardiers, c’est impressionnant. Ils passent d’abord assez haut en formation de vol. Nous comptons deux formations, les chasseurs virevoltent comme des chiens de bergers autour d’un troupeau. Le bruit est considérable. La formation se divise en deux : 36 appareils parachutent sur notre terrain et les autres sur un terrain situé en Corrèze9 à 10 km de nous à vol d’oiseau. Les voici, aile dans aile à quelques centaines de mètres d’altitude. Six bombardiers passent trappes ouvertes et c’est la floraison de parachutes multicolores à raison de 12 appareils, cela fait près de 72 par vague celles-ci se suivent sans interruption. Au dessus de nous les équipages nous font signes par les trappes. Autour de nous, il pleut ferme et dru des ballots et des containers qu’il vaut mieux éviter de recevoir sur la tête. C’est tout simplement formidable ! Le bruit décroît puis disparait. Le sol est couvert de corolles claires. Quelques-unes pendent aux arbres ou sont accrochées aux poteaux télégraphiques ».

 

-8 Mouvements Unis de la Résistance.

- 9 Terrain « Tramond » (Puy Quinsac).

Le ramassage :

La plupart des containers sont tombés en bordure ouest du terrain dans les fourrés et dans le ravin qui borde l’Incon. Le terrain « Serrurrier » étant traversé par la D61 qui va de Pleaux à Enchanet, le plus urgent est de ramené  tout le matériel sur cet axe. A 11 heures, départ du premier convoi destiné au groupement de Néronne. Vers midi, 2eme convoi pour le barrage de l’Aigle. Puis à 1 heure du matin, dernier convoi pour l’Aigle. L’évacuation de « Serrurier » par tout le personnel du groupement Thollon se fera progressivement de 1h30 à 4 heures du matin. Dans un câble pour Londres, Robert Koening indique,  parachutage de jour sur « Serrurier » pleinement réussi. Total matériel reçu : 340 fusils, 549 pistolets automatiques, 65 fusils mitrailleurs, 94 Pia10, 520 grenades, 240 munitions 9mm, 622 200 cartouches, 778 270 munitions Pia, 220 obus. Dans une allocution à Brive, le général Colin, chef du SOE11 , affirmait avec fierté qu’il avait été largué ce jour-là, le plus important parachutage de la zone s’étendant de la Norvège à l’Indochine.

Ainsi, grâce au parachutage, l’armement des FFI des régions 5 et 6 fut achevé, il permit également de les maintenir dans une position aussi forte que possible, ceci afin de permettre d’appuyer efficacement en août 1944, le futur débarquement (15 août 1944) dans le sud de la France.

 

Les Mauriacois, en voyant passer les escadrilles ont pensé à un combat aérien avec « 30 avions allemands abattus ». Les chasseurs Mustang qui escortaient les bombardiers ont tiré quelques rafales pour saluer les hommes au sol, d’où l’équivoque sur cette opération.

A la libération, certains bruits ont couru, laissant croire que des résistants  ont pu profiter de l’argent parachuté. Inutile de préciser que c’est faux. Le parachutage d’argent se faisait sous contrôle de responsables, eux mêmes contrôlés par Londres.

Le compte-rendu d’un pilote de B17 annonce des feux visibles à 40 km de distance sur le terrain « Serrurier ».

Les délégués militaires héritèrent de surnoms en relation avec leurs fonctions :

            Militaires scientifiques : Carré, Hypoténuse, Pair, Pyramides.

            Instructeurs de sabotage avaient des pseudonymes tirés du matériel agricole : Croc, Faucille, Fourche, Sécateur.

            Opérateurs radio, avec des noms de pays : Africain.

-10  Arme anti-char – Projection Infantry Anti tank

-11 Spécial Opération Exécutive.