La véritable histoire du France

            En 1835, le gouvernement français prend conscience de l’absence de liaison maritime avec le nouveau monde. Le premier service de bateaux-poste entre le Havre et New York fut créé cette année là. La traversée était assurée par des voiliers américains de faible capacité (450 tonnes). Ce succès encouragea les armateurs à construire des unités de plus fort tonnage. Les Anglais ayant inauguré un service entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, la France décida à son tour de se lancer dans le transport de voyageurs. Le gouvernement français refusa d’abandonner aux autres le monopole des relations transatlantiques et le 24 juin 1848, le port du Havre1 recevait le premier navire de service.

            Les constructions des années suivantes se dérouleront dans les cales de Penhoët situées à Saint-Nazaire. Dès 1840, il est décidé d’aménager un nouveau port pour les grands navires. Le chantier qui occupe 5 hectares en 1869 se développera pour en occuper une centaine. Pour faire face à la concurrence les chantiers de Penhoët fusionneront avec ceux de la Loire pour donner naissance aux chantiers de l’Atlantique. ; plus de 10500 personnes y seront alors employées. Dès sa création en 1861, la Compagnie Générale Transatlantique (CGT) s’engagea à assurer la ligne de l’Atlantique Nord pour le plus grand prestige de la France avec la construction d’une quarantaine de paquebots, qui en un siècle donneront au monde l’image du raffinement français.

            L’histoire du  « France » est complexe car les différents articles parus depuis des décennies mélangent en fait plusieurs types de constructions sans chronologie précise. Quelques articles de fond dénoncent les aspirations d’une population désireuse de prendre du bon temps dès le début des voyages transatlantiques en opposition avec celle d’aujourd’hui qui valorise les transports rapides à coût low cost. En fait, trois paquebots auront le nom de « France ». Ils porteront en eux toutes les innovations techniques du moment avec le luxe des cabines à « La Française ».

-        France 1, premier du nom : paquebot en fer, construit à Penhoët, 108 mètres de long, 850 chevaux, 13 nœuds (24km/h) ; inauguré le 1er octobre 1864. Il sera allongé de 12 mètres, on lui enlèvera ses roues à aubes en 1874.

 

 

 

 

 

Sur cette photo, un troisième mât est ajouté. Entre deux voyages, il participera à l’expédition du Tonking. Il sera vendu à la démolition en 1910.

Peu de documents retracent son épopée et les photos sont rares à cette époque. Le début du 20eme siècle voit se développer, la construction d’immenses paquebots. En Angleterre avec la construction de » l’Olympic » et du « Titanic2 » ;  en France avec le « Normandie » et « La Picardie » qui deviendra « Le France » N°2. 

1)    Le port du Havre fut choisit au détriment de Nantes, car avec l’accroissement de la taille des bateaux, cela rendait la navigation dans l’estuaire de la Loire très difficile.

2)    Le Titanic : paquebot de 2603 passagers qui coulera au large de Terre-Neuve le 15 avril 1912.

 

-        France 2, deuxième du nom.

Dès 1912, le Royaume Uni connait les drames du Titanic, avec celui du «  Lusitania » torpillé par un sous-marin allemand en 1915, suivit de l’incendie du « Queen Elizabeth » au large de Hong-Kong. Côté français, le paquebot « Paris » brule et chavire dans le port du Havre. Pour répondre à une clientèle désireuse de voyager dans le confort, la Compagnie Générale Transatlantique apporte au transport maritime le moyen de traverser l’Atlantique dans le luxe avec un deuxième « France » .  

  

     France 2, construit en 1912  aux chantiers de Penhoët à Saint Nazaire sous le nom de «  La Picardie », il sera rebaptisé « France » avant son lancement. Il va assurer la ligne du Havre à New York jusqu’en 1932. Il sera le seul navire français à posséder 4 cheminées. Surement le plus luxueux de son époque, la décoration et l’espace qu’il proposait le feront surnommer «  le Versailles des mers  ». Il avait 500 hommes d’équipage, pesait 24 666 tonnes avec une puissance de 45 000 chevaux et une vitesse de 25 nœuds (46 km/h). Il sera réquisitionné le 18 mars 1915 comme croiseur auxiliaire, puis comme transport de troupes. Il embarque à Toulon l’état major de la 156 ème division et ses 4000 hommes pour les Dardanelles ou ils sont débarqués le 2 mai. Il revient à Toulon avec 640 blessés et fait un second voyage du 18 au 24 mai avec à nouveau 4000 hommes. Pendant cette période difficile, il est converti en navire-hôpital avec une capacité de 2500 lits et ramènera au pays les soldats américains en 1919. Pour la dernière fois, ce paquebot de légende quitte le Havre, le 15 avril 1935, soit moins d’un mois avant l’arrivée inaugurale du « Normandie » pour être démoli à Dunkerque. 

     Après la seconde guerre mondiale, la question de construire de grands navires se pose en termes économiques face au développement sans précédent du transport aérien. Même si les vols sont longs et couteux entre Paris et New York avec un confort encore assez limité, on voyage en Constellation depuis 1946 à 520 km/h et on évoque dès 1956, un nouveau modèle que prépare la firme Boeing : le 707 qui doublera pratiquement cette vitesse de croisière. De son côté, la Compagnie Générale Transatlantique lance en 1953, l’étude d’un nouveau paquebot appelé « France ». Il sera le troisième du nom, encore plus grand et plus beau. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

-        France 3, troisième du nom.

     Que des tergiversations pour prendre la décision de construire ce navire. La décision finale fut prise en 1956, pour une mise à l’eau en 1960. Ce laps de temps va couter très cher car l’addition de  273 millions de francs à la commande va passer à 418 millions à la livraison3.

 

 

 

 

 

            Il y a 55 ans, plusieurs dizaines de milliers de visiteurs affluent à Saint-Nazaire pour assister au lancement du plus grand paquebot du monde.

     À propos du nom France, très vite une querelle s'installe: faut-il dire «Le France», «La France» ou «France». Chacun donne son avis. Finalement, la direction générale de la Transat tranche, on doit dire «France» tout simplement.

      « France » comportait un bon nombre d’innovations techniques : chaudières à haute pression, occasionnant une économie de carburant ; structures en alliage léger d’aluminium permettant une plus grande vitesse ; ailerons stabilisateurs de roulis ; cabines à air conditionné.

     La construction des cheminées s’achèvent le 11 mars 1961 par la pose des ailerons très caractéristiques sur ce navire. Ceux-ci sont conçus pour éviter que la fumée ne se rabatte sur le pont et donc sur les passagers en utilisant les vortex de bout d’aile4. Les cheminées pèsent 40 tonnes, elles mesurent 15,60 mètres de haut et l’envergure des ailerons est de 19 mètres. La décoration intérieure est terminée le 11 novembre 1961. Le 19 novembre, à 14 heures, il quitte Saint - Nazaire pour le Havre, son port d’attache. Son premier commandant est le capitaine au long cours Georges Croisile. Pendant 12 ans, il assure les traversées transatlantiques et quelques croisières autour du monde.

3)    Le commandant du navire Christian Pettré dénoncera plus tard,  le manque de décision de la compagnie qui placera le France dans une position commerciale obsolète.

4)    Les vortex, bien connus en aviation permettent un rejet de l’air vers le haut.

            La première traversée de l’Atlantique à eu lieu le 3 février 1962, il y avait 1806 passagers, 580 en première classe et 1226 en classe touriste. La traversée dura 5 jours dont 4 par gros temps. A son arrivée dans la rade de New York, le 8 février 1962, il est salué par des milliers de personnes depuis les rives de l’Hudson. Quelques années plus tard, l’équipage apprend lors de la traversée vers New York que la compagnie a décidé la mise en vente du France. Il terminera sa vie au mois de décembre 1974, quai de l’oubli. Déjà, fin 1965, les recettes sont pour la première fois inférieures aux dépenses. Bien des paramètres n’ont pas été pris en compte : le « Queen Elizabeth 2 » entre en service en 1969 et devient un rude concurrent. La dévaluation du dollar fait perdre encore plus d’argent. Les hausses du prix du carburant. Une politique de commercialisation terne et bloquante. Les rigidités administratives avec l’interdiction de mettre en place un casino. Le copinage dans les nominations avec un équipage trop important. Les grèves à répétition avec leur opposition à tout changement.Circonstances aggravantes le 1er choc pétrolier de 1973, avec le quadruplement du prix du baril. Cerise sur le gâteau, Jacques Chirac suit les recommandations de VGE5 et stoppe toute subvention. Le 24 octobre 1977, Akram Ojjch, riche saoudien achète le France pour 80 millions de francs. Le 25 juin 1979, le norvégien Knut Ulstein Kolsterle rachète pour 77 millions de francs. Le France quitte le Havre le 18 août 1979, remorqué par l’Abeille Provence. Il sera rebaptisé « Norway » et continuera ses courses pendant 20 ans.

Epilogue : le 25 mai 2003 à Miami, le « Norway » est endommagé par l’explosion de l’une des quatre chaudières causant la mort de plusieurs marins. La compagnie norvégienne décide alors de vendre le bateau devenu non rentable. Il retourne à Bremerhaven6 jusqu’au 10 août 2005 ; de là il effectue son dernier voyage vers la Malaisie, à l’ouest de Kuala Lumpur ou il sera débaptisé. Il devient le « Blue Lady » fin janvier 2006. Le 2 août 2006, la Cour suprême de l’Inde autorise le démantèlement du paquebot. En deux jours, Artcurial7, vend aux enchères les 446 pièces de mobilier et autres pour la somme de 937 800 €.

 

 

5)    VGE Valérie Giscard d’Estaing - 6) Port d’Allemagne - 7) Salle de vente à paris.