Crime et  Châtiment

À

Saint Bonnet de Salers

Nous sommes à la fin du Second Empire, la défaite de Sedan en septembre 1870 entraîne la proclamation de la république. Cette période se caractérise par l’apogée de la puissance coloniale, la modernisation du pays, l’avènement de l’automobile, du réseau ferroviaire, de l’électricité, de la radio. Le régime est marqué par une instabilité politique chronique et surtout par trois grandes guerres, qui ruineront la France et l’Europe.

Alors que l’armée de l’empereur capitule, les gens de Boussac assistent impuissants à l’incendie de la grange de Félix Riom. Ce 1er septembre 1870, la fermentation du foin reste la cause du sinistre. Mais la rumeur désigne déjà  les coupables. Les mille cent vingt habitants de la commune connaissent déjà les agissements de la famille Ondet qui développent la plus grande perversité et la poussent vers l’irréparable. Le père est condamné à deux reprises pour vol, le cousin jacques Blanié qui n’est pas en reste passe quatre fois devant les tribunaux. Quant à leur progéniture, elle pille les voisins comme une nuée de sauterelles. Dans cette horde de frères dépravés, la petite Marie détonne. Du haut de ses onze ans, l’innocence va parler et causera la perte de toute la famille.

Arrive le dimanche 18 septembre, Boussac s’enflamme à nouveau. La maison de la veuve Courboulès est la proie des flammes. Cette pauvre dame, pour son malheur a pris parti contre la famille Ondet à la suite d’un vol d’oies. Pourtant aucune action en justice n’arrive à prouver leur participation.

Un mois plus tard, le 16 octobre, Boussac encore ; la veuve Bachellerie  de retour de la messe du dimanche  se retrouve devant les cendres encore chaudes de la maison qu’elle loue aux enfants Frutière. Mais cette fois l’incendie cache une motivation beaucoup plus terre à terre.

Peu de temps avant le drame, le père Ondet lui a rendu visite pour percevoir le loyer qu’elle devait à son cousin Blanié, l’un des héritiers Fruitière. Elle n’a pas voulu le payer directement et l’a congédié.

« J’ai de l’argent, mais je veux savoir à qui je dois payer », lui-a-elle lancé.

On se souvient aussi que Jacques, l’un des fils Ondet, a adressé à la fille de Mme Bachellerie des menaces. De plus, le matin même de l’embrasement, il a été aperçu sur le chemin de Boussac marchant d’un pas rapide, si bien que son frère avait du mal à le suivre. Curieusement personne n’est inquiété, en dépit d’une opinion publique de plus en plus hostile à leur égard.

Nous sommes maintenant en plein hiver, les nouvelles des armées françaises sont mauvaises et la rumeur s’endort Lorsque le printemps revient, au premier jour de la commune, la veuve Simon de Tronchy, bourg de la commune de Saint martin Valmeroux ne peut encore une fois expliquer la cause de l’incendie qui détruisit sa maison ce 18 mars 1871. Elle n’a pas d’ennemis, aucun vol n’est constaté, la justice reste à l’écart.

  

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Tout va basculer à Chasternac, lieu du crime où Marie Rouchy, veuve Lacombe trouva la mort dans la nuit du 20 au 21 mai 1871. Les premiers voisins qui ont foncé vers le brasier l’ont vu surgir des flammes à demi nue et criant : « de l’eau, de l’eau ». Puis la sexagénaire tombe d’un bloc pour ne plus se relever. De sa bouche et de son nez coule un filet de sang, comme si elle avait été victime de violences. En examinant le corps de la veuve, le médecin du coin constate que la muqueuse laryngée présente une couleur rouge sombre. Cette nuit là, les trois maisons contigües de Lafarge, Lacombe et Guy Borne partent en fumée.

Quelques heures plus tard, les Versaillais entrent dans Paris et inaugurent « la semaine sanglante » c’est l’épisode final de la Commune de Paris où celle-ci est écrasée et ses membres exécutés en masse.

Le conseil municipal décide de prendre le taureau par les cornes et met la justice devant ses responsabilités. Enfin, le 22 juin 1871 les Ondet sont arrêtés au grand soulagement de la population.

Tout semble rentrer dans l’ordre, lorsqu’un sixième incendie se déclare à Boussac. La maison des époux Veyrières est en feu depuis 9 heures du matin. Ce qui doit innocenter la famille Ondet car étant sous les verrous, elle ne pouvait matériellement être responsable de ce nouveau brasier. Or, très rapidement, les regards se tournent vers Françoise, la fille de la maison. Âgée de vingt et un ans, elle est très vite soupçonnée de complicité. Arrêtée, elle finit par avouer qu’elle voulait innocenter les Ondet.

Grace aux déclarations de Marie Ondet, la gamine de la famille, la vérité est établie sur la mise en œuvre des crimes et sur les différents mobiles.

Le premier incendie provoqué par Anne, la mère de famille avait pour but de faire accuser les Poudeyroux et Rougier qu’elle poursuivait d’une profonde haine. Le témoignage de Françoise éclaire le deuxième délit puisqu’elle était présente lorsque la mère Ondet tout en préparant un tampon d’étoupe et de toiles roulées disait à son mari : « demain, j’irai à la messe et le père mettra le feu ».

Pour la maison de la veuve Bachellerie, le fils Jacques se trouvait dans les parages sans possibilité de s’expliquer. Pour l’affaire de Tronchy, Françoise Veyrières lève le voile. Le 16 mars, deux jours avant l’incendie, la mère Ondet lui a avoué : « Mon Jacques doit aller comme domestique à Tronchy, mais il faut que je mette le feu avant qu’il arrive, sinon il sera soupçonné. Si j’attends qu’il soit installé, on dira que c’est lui. »

Cette dramatique façon de cacher un incendie par un autre est aujourd’hui appliquée par beaucoup d’incendiaires.                                   

 

  

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Pour Chasternac, dans la nuit du 20 mai 1871, la famille au grand complet avec le cousin Blanié se dirige vers la demeure de Marie Rouchy. À travers le toit de chaume, ils peuvent fouiller le 1er étage, la fille Veyrières et François sont restés à l’extérieur pour faire le gué. Ouvrant les malles, ils rassemblent les vêtements pour les emporter. Puis la fouille continue dans la pièce principale où dort la veuve. Etranglée et laissée pour morte, les pyromanes mettent le feu et reprennent le chemin de Boussac avec leur butin.

Le dernier incendie qui détruisit la maison des époux Veyrières à Boussac mit fin au périple d’une famille diabolique. Pendant près de deux ans, ce petit groupe opère sans être inquiété. Coïncidence avec les troubles Parisiens ? L’instabilité politique de l’époque avec la perte de l’Alsace-Lorraine et le versement de 5 milliards de francs d’indemnités à l’Allemagne ne sont peut-être pas étranger à la lenteur d’une justice qui va connaitre sous la IIIe République une quinzaine de présidents.

Depuis leur jugement dans la nuit du 28 au 29 novembre 1871, les gens de la commune trouve enfin la tranquillité et avec elle la rumeur disparait.

Composition de la famille :

Le père Ondet Antoine 48 ans né le 21 novembre 1822 à La Courtade, commune de Sauvat (revêtu de la camisole de force par crainte de suicide). Il sera condamné à la peine de mort.

La mère Pedeboeuf Anne 52 ans née le 19 mai 1819 (mariée à Antoine le 7 janvier 1843 à Saint Bonnet). Elle sera condamnée aux travaux forcés à perpétuité.

Christophe 28 ans né le 23 novembre 1843 (se suicidera en prison avec un mouchoir).

Louis 21 ans né le 6 mai 1850 (tentative de suicide avec sa cravate). Condamné à sept ans de prison.

François 20 ans né le 7 août 1851. Condamné à sept ans de prison.

Jacques 17 ans le 20 juin 1854. Condamné à six ans de prison.

Marie née le 21 octobre 1856 décédera le 3 février 1858.

Catherine 11 ans née le 28 mai 1860.

Louis 10 ans né le 24 août 1861. Pendant le jugement, il suscite la clémence du jury. Maitre  Baduel promet de s’en occuper.

Complices : Veyrières Françoise 21 ans, amie de l’un des fils. Condamnée à cinq ans de prison.

Blanié Jacques, tisserand et cousin de la famille (tentative de suicide avec un drap). Condamné à huit ans de prison.

De cette passion obsessionnelle et criminelle pour le feu au sein d’une famille sans scrupule, seule la petite Marie ne sera pas inquiétée et continuera sa vie comme servante chez Célestin Lapeyre.                                                    

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Deux jours après la décision du jury, le chef de famille se pourvoit en cassation, sans succès. La  grâce présidentielle est refusée. Il attend pendant près de soixante jours la fatale échéance. Déjà, le journal Conciliateur du 12 novembre 1871 publie la lettre de Victor Hugo évoquant la condamnation à mort et qui exprime ses doutes sur ce type de châtiment.  « Ah ! Habitants de Saint Bonnet, vous avez voulu voir tomber les têtes de vos incendiaires. La justice vous a donné satisfaction. » À Mauriac, des voix s’élèveront également contre la peine de mort.  

Le 29 janvier 1872, le condamné arrive à Aurillac en train. Il est acheminé en diligence  vers  Saint Bonnet de Salers.  Deux mille curieux et badauds attendent sur le foirail où trône l’échafaud ; cinq brigades de gendarmerie et un peloton de troupe gardent le périmètre, le moniteur du Cantal précise que seul un détachement de 37 hommes du 92ème de ligne est présent.

Le 30 janvier à 7h45, la voiture qui charrie le condamné arrive au village. À côté de la machine infernale se tient Jean-François Heidenreich, cet homme très grand, au visage impassible libère un quart d’heure plus tard  la sécurité de la lame.  Il est 8 heures du matin, la tête du père Ondet tombe dans le panier. L’abbé Cobras termine sa prière, la foule reste silencieuse. Le Moniteur précise que l’exécution ne donne lieu à aucun incident, Ondet était dans un état de prostration extrême. Ses dernières heures n’ont été qu’une longue prière entrecoupée de larmes et de sanglots. Une profonde pitié remplissait toutes les âmes, en laissant place toutefois à un sentiment de légitime fierté, inspiré par la pensée que le coupable était étranger au pays, la chute de sa tête ne saurait imprimer sur la bonne population de la commune de St Bonnet le moindre stigmate infamant. La justice humaine est satisfaite.

La guillotine cantalienne entrera en sommeil pour une soixantaine d’années. Les crimes des Ondet feront naître plusieurs complaintes, dont une publiée dans le Conciliateur du 11 février 1872. La deuxième sera publiée par l’imprimerie Grèze-Chaleil.

Crime et Châtiment : roman Russe de Fédor Dostoïevski de 1866 (le salut par la souffrance). C’est aussi un film Français de Georges Lampin de 1956.

                                                            Image non contractuelle

Blanié Jacques est cité comme beau-frère par le Conciliateur (journal de l’arrondissement de Mauriac).

Un traité de paix, signé à Francfort le 10 mai 1871, ampute la France de l'Alsace  sauf Belfort, d'une partie de la Lorraine et des Vosges. Une somme de cinq milliards de francs or est demandée à titre de dommages de guerre.

Bibliographie : Mémoires de St Bonnet de Salers de Georges Rolland ; les archives départementales ; les grandes affaires criminelles du Cantal de Christian Estève et Jean-Pierre Serre ; les gens de la commune intéressés par l’histoire.